Les fondements de l’accueil à « lóczy »


Les fondements de cet accueil semblent, dans une première approche, très paradoxaux.

En effet, il s’agit de concilier :

  • liberté de mouvement avec sécurité physique de l’enfant,
  • ajustement des soins aux spécificités de chaque enfant avec vie en groupe,
  • organisation cohérente et stable des journées des enfants et du travail des professionnels avec souplesse des ajustements nécessaires dans une situation donnée.

Ce qu’on pourrait résumer par « rester créatif dans un cadre stable et clair pour les enfants et les adultes ».

Dans « Lóczy ou le maternage insolite », Geneviève Appell et Myriam David énoncent dès 1973 les 4 principes directeurs qui pour elles guident l’action de l’équipe de la pouponnière.

p. 55 et 56 de la version Erès 2011 de « Lóczy ou le maternage insolite »

« Ces principes peuvent être formulés ainsi :

  • valeur de l’activité autonome ;
  • valeur d’une relation affective privilégiée et importance de la forme particulière qu’il convient de lui donner dans un cadre institutionnel ;
  • nécessité de favoriser chez l’enfant la prise de conscience de lui-même et de son environnement ;
  • importance d’un bon état de santé physique qui sous-tend mais aussi, pour partie, résulte de la bonne application des principes précédents.

Ces quatre principes sont d’égale importance et c’est parce qu’ils sont simultanément respectés de façon constante que le système éducatif mis en place a de la valeur. Si l’un d’eux était négligé l’équilibre de l’expérience offerte à l’enfant serait rompu. »

Mária Vincze (pédiatre à l’Institut), dans sa recherche sur l’atmosphère thérapeutique de Lóczy les développe 30 ans plus tard.

M. Vincze « Introduction aux monographies », in : Vincze M. « L’atmosphère thérapeutique à Loczy, érès 2014, p.20 et 21

« Nous entendons par ce terme une atmosphère susceptible d’apporter une sécurité à des enfants privés de leurs mères, blessés dans leur être, au moral, et souvent aussi sur le plan physique, de leur permettre une bonne socialisation et de favoriser le développement sain de leur personnalité.

Nous considérons que les caractéristiques les plus importantes d’une atmosphère thérapeutique sont :

  • des relations interpersonnelles, stables, continues et intimes entre l’enfant et un nombre restreint d’adultes bien connus, et une relation affective privilégiée avec une personne de référence
  • des soins de bonne qualité,
  • le respect de l’activité libre de l’enfant,
  • un monde stable et prévisible, avec un soutien à l’enfant pour lui permettre de trouver ses repères (dans l’espace, le temps, dans ses contacts humains, sa propre situation),
  • dans un cadre de liberté, des règles et des limites claires qui permettent l’intégration des normes sociales,
  • l’absence d’agressivité des personnes adultes,
  • le fait d’éprouver le sentiment d’être « bon »,
  • le respect de la personne, de la personnalité de l’enfant. »

Julianna Vamos (psychanalyste et membre fondateur de l’Association Pikler Lóczy-France) explique l’importance de cette organisation institutionnelle pour la construction psychique de l’enfant.

« L’organisation temporo spatiale, faite d’un alliage subtil entre soins corporels et activité libre, constitue une invention tout à fait originale. Comme le disait M. David (2002), elle est composée de science et d’art.

Les deux espaces, soins corporels et activité libre, s’enrichissent l’un de l’autre et permettent aux bébés d’élaborer leurs expériences psychiques personnelles.

Grâce à cette pratique clinique, constamment repensée et réajustée en fonction de l’enfant, la pouponnière Lóczy a relevé avec succès le pari de créer un univers relationnel collectif qui éradique les carences institutionnelles dominantes jusqu’alors tel que Spitz (1965) les avait repérées sous le terme d’hospitalisme.

À travers cet univers, pensé et organisé en permanence, où s’élaborent les rapports de dépendance et d’individuation de chaque enfant, on perçoit la découverte fondamentale de Pikler (1979) : favoriser un développement autonome sans stimulation ni interférence éducative directes de la part de l’adulte.

La mise en place du dispositif nécessaire au développement de cette activité libre et spontanée requiert beaucoup d’attention et de connaissances de la construction primaire du bébé. Le temps, l’espace et les objets choisis sont un accompagnement de cette activité qui permet à l’enfant de faire l’expérience de la reprise symbolisante de la relation avec l’adulte. Le moment des activités spontanées est choisi avec beaucoup d’attention. Il s’instaure après la satisfaction des pulsions d’autoconservation par l’adulte. L’enfant retrouve alors un espace personnel, créé pour son activité en motricité libre et spontanée…

Être libre suppose être libre de tout empiètement intrusif de l’objet. L’activité motrice libre et spontanée permet au bébé de ne pas être assujetti à l’adulte, et de faire alors l’expérience de ses capacités, de construire ses compétences, d’intégrer des connaissances et de développer sa pensée. À l’exception de la position initiale donnée au bébé à sa naissance, qui est celle du décubitus dorsal, le développement physiologique des grands mouvements s’étaye sur l’initiative personnelle de l’enfant. L’éprouvé subjectif de l’activité propre, étayée sur la liberté motrice, permet de vivre une expérience émotionnelle qui prend naissance dans l’élan pulsionne

Miriam Rasse dans « La pouponnière Lóczy : une organisation institutionnelle pour une clinique du prendre soin », revue « Le Furet » n° 33, détaille l’accompagnement au quotidien à Lóczy et comment il soutient tous les domaines de développement.

« […] pour ces tout-petits un environnement stable, fiable et prévisible comme assise indispensable à la sérénité physique et psychique dont un bébé a besoin pour déployer ses forces pour grandir : les enfants vivent au sein d’un même petit groupe composé de huit enfants, dans une grande pièce qui – comme dans une maison – est composée d’un espace de jeux, d’un espace de sommeil, d’un lieu de repas et d’une salle de bain.

Un nombre restreint d’adultes stables interviennent auprès de ce même groupe d’enfants puisque ce sont quatre « nurses » – dont une privilégiée – qui prennent en charge les enfants d’un même groupe, assurant successivement les différents services du matin, d’après-midi, de nuit, ou de week-end.

La régularité du déroulement des journées scandées par un certain nombre d’événements prévisibles permet à chacun de s’orienter dans le temps, de pouvoir anticiper ce qui va se passer pour lui et d’être sûr de pouvoir compter sur l’adulte présent pour lui assurer la satisfaction de ses besoins corporels et être attentif à ses intérêts, à ses plaisirs, à ses désirs.

Cette stabilité est source, bien sûr, d’une grande sécurité, elle assure la place de l’enfant dans le groupe, mais elle favorise aussi sa prise de conscience de l’environnement et lui permet de se situer dans cet espace-temps. »

La création d’une relation intime et personnelle

Au sein de ce cadre précis, les temps de soins (repas, change, toilette, coucher…) sont privilégiés comme moments individualisés de rencontres entre enfant et adulte sur lesquels s’étaie la création d’une relation intime et personnelle. Avec des gestes délicats et enveloppants – mais très codifiés afin de veiller à assurer son bien-être et sa détente corporelle et aussi d’assurer une continuité entre les quatre nurses, les adultes prennent soin de ce tout-petit, qui bénéficie là d’une expérience corporelle agréable et narcissisante.

Ce soin est aussi une véritable rencontre au cours de laquelle non seulement la professionnelle est ouverte à ce qui vient du bébé, à ce qu’il exprime, à ce qui lui fait plaisir ou au contraire provoque chez lui un désagrément ou une tension, mais aussi, elle cherche et attend sa coopération. Elle invite l’enfant à être un partenaire dans ce soin qui concerne son corps, elle sait déjà ce qu’il aime et essaie de le lui offrir, elle est attentive à ses nouveaux intérêts, elle donne un espace à ses initiatives, elle sollicite sa participation, attend et respecte sa capacité et son plaisir à faire par lui-même.

Au sein de cette chorégraphie bien connue des deux, se déroule alors toute une « spirale interactive » au cours de laquelle l’enfant fait l’expérience de sa compétence et prend conscience de lui-même.

À travers ces temps de soins, enfant et adulte vont apprendre à se connaître, à s’écouter et à s’apprécier mutuellement. Il va se construire entre eux une relation affective qui assure au bébé qu’il peut compter sur l’attention et la disponibilité psychique d’un adulte qui veille sur lui, qui lui porte un intérêt personnel, prêt à accueillir ses demandes, ses émotions, sa vie pulsionnelle, et qui consolide par là-même le sentiment de sa propre valeur.

C’est principalement au cours de ces temps de relations individuelles que vont se développer les échanges langagiers avec l’adulte. La nurse veille à informer et prévenir le bébé, dès tout petit, de ce qu’elle fait avec lui. Elle s’efforce de se faire comprendre et aussi de le comprendre, en parlant au bébé, en mettant en mot ce qu’elle fait et ce qu’elle perçoit des manifestations du bébé, à travers sa communication « gestuelle ».

C’est à travers cette communication que peu à peu l’enfant va apprendre et découvrir un certain nombre de règles sociales et culturelles, comprendre ce qui lui arrive et ce qu’il fait, quelle est sa situation et ce qu’il va devenir, que ce soit d’abord dans son présent immédiat puis dans son avenir proche et plus lointain. L’enfant est ainsi accompagné, par des adultes importants pour lui, dans ce difficile travail de se situer dans son histoire personnelle et familiale. »

Exercer son activité spontanée

L’organisation de ces temps de rencontre à l’occasion des soins, planifiés de façon précise, assure à la nurse ce temps possible avec chacun des enfants du groupe et donne à l’enfant une certitude telle qu’il n’a pas besoin de s’en préoccuper ni de guetter ou d’attendre. Il peut alors en toute tranquillité exercer son activité spontanée, être présent et sensible à lui-même et à son environnement pour partir à la découverte du monde extérieur, se livrer à des expériences et à tout un travail d’élaboration.

L’observation et le travail d’équipe

Les nurses sont dans une attitude permanente d’observation à l’égard des enfants dont elles ont la responsabilité. Il ne s’agit pas d’une attitude extérieure mais d’une observation « empathique » qui alimente la relation avec l’enfant, vise à accueillir la diversité de ses manifestations et émotions et d’y répondre sur un mode qui favorise son bien-être, l’ouvre vers l’extérieur, le sécurise et favorise son épanouissement.

De plus, un certain nombre de leurs observations sont consignées dans des cahiers, de façon quantitative (le poids, les selles, l’alimentation, le sommeil…), et qualitative (comment l’enfant mange ou joue, ses progrès moteurs ou de langage, ses habitudes, son comportement pendant les soins ou avec les autres enfants…). Ces différentes notations soutiennent l’attention individuelle à chacun des enfants mais ont surtout pour fonction d’assurer des transmissions entre les nurses et donc une continuité dans la prise en charge de chaque enfant, ainsi que des transmissions avec les différents membres de l’équipe (le médecin, la pédagogue, la directrice). Elles servent également de support à la synthèse mensuelle faite pour chaque enfant, préparée par la nurse « référente » de l’enfant et retranscrite dans un cahier que l’enfant emportera avec lui à son départ de l’institution. Cette « référente », par son attention, ses observations et leurs transcriptions, est garante de la continuité externe et interne des enfants qui lui sont plus particulièrement confiés par l’institution.

Un travail d’équipe est indispensable pour assurer et préserver une cohérence et une continuité entre les interventions des différentes personnes qui ont la responsabilité d’un même groupe d’enfants (les quatre nurses, les infirmières, la pédagogie de groupe, les médecins, la directrice, l’éducatrice du jardin d’enfant, la personne qui assure les promenades…). C’est pourquoi, un certain nombre de moyens sont mis en place pour permettre à chacun de comprendre le sens des interventions qui lui sont demandées, de partager avec d’autres la connaissance de chaque enfant, de trouver aide et soutien face aux problèmes rencontrés et de progresser dans sa compétence professionnelle.».

Myriam David, dans Appell G. – Tardos A. (sous la direction de ) « Prendre soin d’un jeune enfant. De l’empathie au soin thérapeutique », Erès 1998 définit la relation nurse-enfant.

« Tantôt on lui reproche de ne pas être « maternelle », d’être artificielle, contrôlée, pas naturelle, dépourvue de chaleur, de spontanéité et d’élan ; tantôt, la qualité des soins et l’harmonie régnante apparente, la dévotion à l’enfant donnent une impression de perfection que les uns trouvent inquiétante et dont les autres voudraient voir les mères davantage pourvues.

Pour ma part, je pense essentiel de comprendre que relation maternelle et relation soignante sont de nature fondamentalement différente et ne répondent pas au même objectif.

1.La relation maternelle est une relation « continue » qui se poursuit toute la vie et au-delà. C’est une relation passionnelle, « amoureuse », toujours complexe, à l’intérieur de laquelle le bébé comme la mère vit des élans de tendresse, des colères et des frustrations, des inquiétudes, des joies, etc.

[…] De la rencontre entre le bébé fantasmatique et le bébé réel résulte un jeu complexe « continuel » entre les forces d’empathie qui la guident et la poussent pour s’accommoder aux demandes de son bébé, et les « élans projectifs » qu’il suscite en elle et qui façonnent ses attentes à elle, ses demandes, ses exigences. […]

2. Soins professionnels. Lorsqu’un bébé est privé de sa mère, […], l’objectif premier de la personne à qui il est confié est net et précis : lui prodiguer les soins nécessaires à sa survie, au maintien de sa santé, à la poursuite de son développement. C’est bien exclusivement dans ce but qu’elle entre en relation avec ce bébé.

Or le bébé privé de sa mère est en état « d’angoisse de perte » et d’inquiétude à l’égard de « l’étrange ». Les soins, donnés par une « autre », une « inconnue », sont en soi une source de trouble […] ; pour être acceptables, ils doivent être prodigués de façon à restaurer la sécurité, créer un sentiment de bien-être et de plaisir. C’est dire que la soignante doit impérativement tenir compte de la sensibilité du bébé, de ses craintes telles qu’il les exprime à travers ses réactions motrices et toniques ; il lui faut ajuster ses gestes et ses manipulations aux manifestations du bébé qu’elle doit être capable de percevoir et de respecter. La science et l’art du soin sont alors bien nécessaires. »

Quelques références sur la pouponnière

David M. – Appell G. « Lóczy ou le maternage insolite », érès 2014 (Édition originale CEMEA/Scarabée 1973)

Appell G. – Tardos A. (Sous la direction de) « Prendre soin d’un jeune enfant. De l’empathie aux soins thérapeutiques », érès 1998 (épuisé)

Martino B. « Les enfants de la colline des roses », J.C. LATTES 2001

Szanto-Feder A. « Lóczy, un nouveau paradigme », PUF 2002

Vincze M. « L’atmosphère thérapeutique à Lóczy ». Tome 1, érès 2014/Tome 2, érès 2015

Martino B. DVD « Lóczy, une maison pour GRANDIR », APLF 1999

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